La frontière ténue entre la fidélité au texte traduit et la littéralité exagérée
La frontière ténue entre la fidélité au texte traduit et la littéralité exagérée
Je me présente, je suis « jeune femme vierge ». Au moins c’est ce qu’interprète le lecteur grec quand il lit mon nom, « Corina » ; de la même manière qu’il voit « une meilleure fin » en Aristote et « d’imposteurs » dans les israélites. Probablement on accorde à dire que l'interprétation étymologique des noms propres est aussi absurde que la traduction littérale de proverbes, dictons, idiotismes, collocations, expressions figés et jeux de mots. Suite à un raisonnement logique, sans doute on déduirait que, en dehors de ces exceptions, il n'y n'aurait aucun obstacle à traduire littéralement le reste des mots d'une langue.
Cependant, ça fait plus d'un demi-millénaire, en 1532, Juan Luis Vives nous a montré l'infaisabilité d'une interprétation textuelle: « il n’y a aucune langue si foisonnante et variée qui ait de correspondance exacte avec les chiffres et les tours de ces langues même les plus démunis et pauvres » (Vega, 1994 :115). Le philosophe valencien a exhorté à se méfier de la synonymie en prétendant que la correspondance des mots finis avec des choses infinies est utopique. Après avoir démontré cela, il distingua deux types de traductions : l’interprétation et la version, la première étant la traduction littérale des mots d'une langue à une autre en sacrifiant généralement une partie du sens, et la seconde, celle qui change les phrases en conservant ce que l'auteur voulut transmettre.
De l'autre côté de la frontière et presque simultanément, Étienne Dolet publia en 1540 les cinq exigences essentielles du bon traducteur (Vega, 1994 : 119-121). L'écrivain français approfondit sur le choix difficile que tout traducteur doit faire entre suivre le texte original à la lettre et respecter son sens. Il déclara que, pour être adroit dans les deux cas, le bon traducteur doit maîtriser toutes les deux langues. Si on veut reproduire mot à mot, on doit savoir, avant tout, la langue à laquelle on traduit. Si on veut jouer sur ses lecteurs le sentiment que l'auteur a voulu provoquer dans leur propre, on doit maîtriser la langue source parfaitement. Les trois conditions restantes, publiées par Dolet, encouragent à ne pas traduire littéralement, ne pas utiliser de jargon ou des mots peu utilisés et, surtout, toujours poursuivre l'harmonie du discours. En résumé, l'humaniste souligna que, pour réaliser une traduction agréable et fructueuse, en plus d'avoir une parfaite gestion linguistique, il est impératif de rendre proche le texte au lecteur tout naturellement.
En d'autres termes, Fray Luis de León, nous transmettait précisément cette dernière condition en 1561: « là où la coutume utilisé et reçu rend beau et bon, ce qui dans une autre langue et à d'autres gens semblerait rustre » (Lopez Garcia, 1996 : 77-79). C'est-à-dire, le bon traducteur doit être toujours attentif au respect de toutes les manières de chaque culture. La traduction d’une œuvre occidentale avec ses manières et coutumes littéralement traduits à une langue oriental serait désastreuse ou, encore plus, une torture pour le lecteur. En 1709, le traducteur français père de Les belles infidèles, Nicolas Perrot d’Ablancourt, reprendra l'idée et nous charma avec une équivalence plus visuelle: « les ambassadeurs s’habillent généralement à la mode des pays où ils ont été envoyés, en craignant s’avérer ridicules aux yeux des pays auxquels ils essaient de plaire » (Vega, 1994 : 162).
Un siècle plus tard, en 1813, Friedrich Schleiermacher, alla au-delà de la division entre interprétation et version. En cherchant la petite bête, le théologien allemand affirma, il y a exactement deux cents ans, que pas toutes les versions sont identiques. Il soutint que la version est un mouvement que peut être fait dans deux directions opposées: "bien on amène l'auteur à la langue du lecteur ou le lecteur à la langue de l'auteur » (Ortega y Gasset, 1937 : 366).
Notre célèbre José Ortega y Gasset prit comme référence la prémisse de Schleiermacher. En outre, le linguiste approfondit la sémantique de la traduction et, en 1937, prévit une exception dans le désaveu de la littéralité et en conclut que la science ne peut pas seulement être traduite littéralement mais, en plus, elle doit l’être. Son argument était que le langage scientifique ne peut pas être considéré comme une langue mais plutôt un pseudo-langue, la terminologie (Ortega y Gasset, 1937 : 363). On arrivera à la même conclusion que Gasset si on imagine que l'étymologie d'un terme scientifique, qui se répand du pays de la découverte ou de l'invention au reste, n’a rien à faire avec le cas d'un ustensile pour manger ou couper nés à cause des nécessités de l’homme préhistorique dans divers lieux du monde simultanément.
L'an suivant, en 1938, Cèsar August Jordana rouvrit le débat sur l'impossibilité de la traduction littérale, en affirmant la nécessité de s'éloigner de l'original pour obtenir une traduction prochaine de l’original (Jordana, 1938 : 368). En 1944, Josep Carner adhéra à la philosophie de la littéralité et alla même par-delà : il fulmina contre certains dictionnaires en affirmant que ceux bilingues ignorent au moins une langue et ceux de poche ne pas seulement déforment la poche (Carner, 1944 :193-194). Dans le cadre de la renaissance du catalan et de la famine de la guerre civile, de nombreux « bilingues » voyaient la possibilité de gagner leur pain dans le métier de traducteur. Carner considéra que tous les deux, les soudains et affamés pseudo-traducteurs et les dictionnaires élémentaires qu’ils utilisaient pour écrire leurs traductions, ne pouvaient donner comme résultat que des œuvres médiocres. Carner vanta les traductions après sens qui faisaient les traducteurs de vocation et désavoua celles faites mot après mot par les nouveaux carriéristes de son métier.
Déjà en démocratie, en 1991, Joaquim Mallafré reprit l'analyse des différences et des utilisations de tous les deux types de traduction que ses prédécesseurs avaient différenciés avant et fit une étude exhaustive en ce qui concerne la distance historique entre l'original et sa traduction. Il différencia les deux versions telles que: « traduction artistique » et « traduction didactique » (Mallafré, 1991 : 295-297). D'une part, le philologue catalan dit que la première version, celle qui met l'accent sur la langue du lecteur et essaie d’obtenir la même perception du message que son auteur atteignit, est celle la plus appropriée entre les langues et les temps proches. En revanche, il affirma que celle qui met l'accent sur la langue de l'auteur est la version la plus appropriée pour la compréhension du monde distant qui s'exprime entre les langues et les temps éloignés. En d'autres termes, le traducteur catalan ajouta une nouvelle raison à la convenance de choisir une version ou l'autre selon ses besoins. Tout comme Dolet, Fray Luis de León et Ablancourt, Mallafré mit l'accent sur la nécessité d’une maîtrise bilingue chez l'auteur. Afin de pouvoir choisir la version la plus appropriée, le bon traducteur doit maîtriser la langue source, celle de l’auteur, et celle cible, celle à laquelle il traduit (Mallafré, 1991 : 298 à 303). Comme on a déjà vu dans cette dissertation, l'origine historique de l'idée de traduire contexte à contexte plutôt que mot à mot est très loin de la linguistique contemporaine.
Cette conception fut documentée pour la première fois en 46 av. J.-c., dans le légendaire Le parfait orateur de Cicéron (Vega, 1994 : 77). Cent ans plus tard, un autre poète romain, Horacio, exprima dans son Art poétique de même prémisse à l’interprète intelligent : « N'essayez pas de traduire, scrupuleux interprète, mot à mot » (Vega, 1994 : 85). Plus de quatre cents ans après, ce précepte fit repris, cette fois-ci par Saint Jérôme de Stridon, dans sa Lettre à Pammaque (Vega, 1994 : 82-86), épître mythique dans laquelle le père de la Bible se défend contre des allégations qui pèsent sur lui à cause d’avoir adapté les mots de ses traductions, plutôt que de les traduire "selon les préceptes du littéralisme".
Croyez-le ou non, les traducteurs du XXIe siècle souffrent des mêmes humiliations que ceux du début du Ve. Il n'y qu’aller au cinéma en Espagne pour regarder un film en version sous-titrée et que votre voisin soit quelque néophyte des langues tel que ceux qui font « d'immersion linguistique » avec un cours d'anglais deux heures par semaine et disent qu’ils ont beaucoup de monde car un avion lowcost les a amenés à Londres pendant un week-end. Nombreuses sont les chances que, devant le première « ¿Me trae la cuenta, por favor? », il esquissera un regard de mépris et dédiera au traducteur, comme si celui-là pouvait l'entendre, des commentaires désobligeants. La dure réalité est que notre profession a subi le harcèlement de nombreux juges charlatans depuis plus de deux mille ans parce que d'eux c’est que le monde en est plein ; il suffit à voir un Madrid-Barça dans n'importe quel bar espagnol pour vérifier qu’il y a une énorme quantité de « directeurs techniques en puissance » en dissertant sur la façon d'améliorer la performance des joueurs de la première division.
En revenant sur le thème du critique de cinema, peut-être qu’il ait tenu compte du fait que le photogramme offre un nombre très limité de caractères pour les sous-titres. Cependant, s’il avait osé dans l'enroulement des domaines de la traduction, il aurait remarqué aussi que beaucoup des langues romanes, tel que l’espagnol, ne sont pas « responsables » des actions interpersonnelles, tandis que celles germaniques, tel que l'anglais, le sont. « Me prestas un boli? » est équivalent à « Can I borrow a pen? » ou à « Peux-j'emprunter un stylo ? », c'est-à-dire que, tandis que les uns « demandent » un stylo - ou un plan de sauvetage financier de plus de vingt milliards d'euros (Veloso, 26/0512, abc.es)-, les autres « prennent » tout ce dont ils ont besoin. Bien qu'assez intéressant, on va laisser le débat économique et socio-linguistique pour une prochaine entrée.
J’exhorte celui qui se considère capable de traduire sans que la grâce du langage souffre à traduire Homero mot à mot du latin. Que sa traduction soit en vers ou en prose, les mésaventures des navigateurs phéniciens sembleraient ridicules et le sens du génie grec serait gâché. Seulement alors le traducteur profane subirait dans sa chair la difficulté qu’il représente le fait de marcher sur les traces sans perdre jamais de vue son chemin. « Il y a si peu de productions de premier rang et les génies, dans n'importe quel genre, sont des phénomènes si rares que, si toutes les nations modernes seraient limitées à leurs propres trésors, elles resteraient toujours pauvres, » déclara Mme de Staël en 1816 (Vega, 1994 : 236). En effet, ils sont de rares exceptions, les traducteurs capables d’accomplir cette tâche ardue.
Parmi eux, l'inimitable Carles Riba, qui ne se contenta pas de sa traduction en vers magistrales de 1919 de l’Odissea et insista pour faire une nouvelle version, moins littéral, en 1948, considérée comme un monument, pas seulement de la littérature catalane mais de toute la littérature occidentale. D'une part, le poète catalan dit que trente ans étaient plus que suffisantes pour oxyder une traduction contemporaine. D’autre part, il affirma que la grande distance en temps perpétue l’immuable littérature classique (Riba, 1948 : 224-231). De cela, nous pouvons déduire que toute traduction est nécessairement provisoire.
En conclusion, le bon traducteur aura un critère formé lui permettant de répondre avec la meilleure solution de manière presque instinctive avant de se lancer dans les affaires délicates de la traduction. Il saura sauter ce qui ne concerne pas le contexte et ajouter ce qui peut l’éclairer, en défendant la capacité et la beauté de la langue à laquelle il traduit afin de réaliser un travail de création et pas une copie dont la prétention, soit dit en passant, serait exagéré non seulement pour ses propres compétences mais aussi pour les possibilités limitées de la langue. C'est-à-dire la traduction ne devra jamais essayer d'être un double de l’œuvre originale mais, plutôt, un chemin vers elle. En bref, le bon traducteur doit ne pas traduire mot à mot mais contexte à contexte, en reproduisant l'effet que l'auteur a essayé de provoquer à ses lecteurs, maintenant avec les mots qui correspondent aux manières et aux coutumes de son époque et de la société dans laquelle il est plongé. À cette fin, vous devrez démontrer, avant tout, être capable de respecter le sens de l'original en l’adaptant pour obtenir une harmonie fluide et naturelle dans la langue cible, parce que ce que beaucoup appellent la fidélité de la traduction, d'autres préférons l’appeler mauvais goût.